Paradoxe(s)

Des visages et des traits

Combien de visages croisés? De traits délaissés.
Des tronches, des frimousses, des gueules, des minois frôlés.

Moments volés.

Ces miroirs.
Reflets de l’âme.
Un regard comme un exutoire.
Des drames.

Combien de trésors dissimulés derrière des barreaux insoupçonnés?
Cette richesse.

Emprisonnés.
Des récits. Des histoires. Des vécus.
De l’ivresse.

Combien? Combien?

Tant de mines déconfites, de figures bien faites.
Tant de sourires rendus, de soupirs perdus.
Retenir ses larmes.
Tant d’expressions qui désarment.

Ces mots tus. Ces regards suspendus.
Ces instants ratés. Ces chances négligées.

Combien de faces chiffonnées?
De secrets préservés.
Combien de fissures dérobées?
De lisses étendues encore à façonner.
Combien de moues tordues par la vie?
De masques percés.

Combien d’yeux rieurs, de bouches en coin, de fronts plissés, d’oreilles tendues?

Ces bonheurs. Ces souffrances.
Exposées.

Sur le visage, des plis.
Des rivières. Des cratères.
Ces cicatrices enracinées.
Combien de visages dans les mains?

Combien? Combien?

D’humains.
D’ici. D’ailleurs. De partout.

De l’innocence.
Des museaux enfantins.
Rieurs.
Des faciès éteints.
De la présences.
Des fous.

Nous.

Combien de visages croisés? D’expressions épiées.
Combien de souvenirs gravés?

Dévisager.
Contempler.

Combien de cous gonflés, de nez tendus, de sourcils froncés?
Combien de regards fatigués, de langues pendues, de mentons serrés?

Des joues pleines.
Des lèvres exsangues.

Sans peine.
Mille fois.

Combien de fois surpris? Combien de fois déçu?
Combien de fois charmé? Combien de fois blasé?
Combien d’erreurs? Combien de méprises?
De jugements à la hâte.
De surprises.

Sans peur. Sans convoitise.
Intensément.
En cachette ou a découvert.
Furtivement.
Dans les yeux ou de travers.

Un visage comme un monde.
La terre plate.

Les observer. Trop.
Les oublier.
Recommencer.

Combien de visages croisés? De traits délaissés.

Par défaut
Paradoxe(s)

Le détail et le portique de sécurité

Pour Nietzsche, le diable se cache dans les détails. D’autres considèrent que c’est Dieu qui s’y niche. Ou peut-être que les deux s’y livrent une guerre céleste.

Peu importe. Une chose est certaine : il y a de la place dans le plus petit des détails. Mieux. Les détails sont tout. Nous sommes les détails de l’humanité. Sommes-nous pour autant négligeables ?

Mais peu importe. Le méticuleux, le perfectionniste et le zélé savent que le détail révèle l’ensemble. La goutte d’eau en dit autant sur l’océan que la vague. Et même Bouddha est d’accord.

Peu importe. Ce n’est pas là que je voulais aller. C’est le métro qui m’a conduit ici. Un détail dans le métro. De ceux qui dévoilent un tout. Un détail duquel on peut induire une vérité globale. Un semblant de vérité, au moins.

Mais peu importe. Les portiques de sécurité étaient en panne. Donc ouverts. Libérant ainsi le passage à la foule. Un incident courant, mais pas anodin. Ce matin, je me suis arrêté. Figé par ce recul qu’impose la conscience du présent. Mes pieds bétonnés au sol de la station Louise, j’ai observé pendant trois minutes. Une éternité dans l’espace-temps du navetteur, prêt à sanctionner d’un coup d’épaule ou d’un grognement, tout geste qui sort de ce qui est attendu.

J’ai observé cette masse grisâtre d’êtres humains qui s’engouffre dans ces entonnoirs métalliques. Ces bétaillères modernes. Mon corps a vacillé, mais pas mon esprit. La révélation était importante. Je me suis d’abord demandé pourquoi? Et puis, j’ai compris ce tout taillé dans le détail : le monde se divise en deux catégories de personnes.

Il y a ceux qui passent les portiques ouverts sans sourciller. Instinctivement, sans autre geste qu’un léger déhanché pour se faufiler de trois quarts dans ce gouffre. Sans hésiter.

Et puis, il y a les autres. Ceux qui — malgré l’ouverture béante — dégainent machinalement leur badge et le font retentir sur la borne. Un geste appris et répété. Pourquoi ne pas le reproduire ce matin ?

Le monde est ainsi constitué de ces deux espèces d’homo sapiens. Aucun jugement de valeur. Juste un détail.

Par défaut